Module 3: AIDE À LA RÉINTÉGRATION AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE

3.2 Évaluations et projets au niveau communautaire

Avant de mettre en œuvre l’aide à la réintégration au niveau communautaire, il est nécessaire de procéder à une évaluation – ou élaboration du profil – communautaire. Le profil d’une communauté recense ses besoins et ses ressources, ainsi que l’impact que peut avoir la migration de retour sur ceux-ci. Il met en lumière les facteurs de migration, les obstacles à la réintégration durable et les facteurs de résilience des communautés. Ce profil se fonde sur la définition de la communauté dans le contexte en question.

L’évaluation de la communauté peut servir de guide pour savoir dans quels domaines l’aide sera le plus efficace et pour connaître les différentes méthodes qui peuvent être retenues. Ces évaluations et les processus d’élaboration des programmes doivent être participatifs et mobiliser à la fois les personnes de retour et des membres non migrants de la communauté.

Une étude réalisée en 2016 par Altai Consulting pour le bureau de l’OIM au Maroc suggère que les critères ci-après favorisent la mise en œuvre de projets de réintégration au niveau communautaire :

  • Le retour d’un nombre suffisant de migrants dans la même communauté sur une courte période ;

  • Des profils de migrants adéquats (autrement dit, les compétences des personnes de retour correspondent bien au projet de réintégration) ;

  • L’intérêt de la communauté locale et la motivation des migrants ;

  • L’existence d’infrastructures de base dans la région ;

  • La disponibilité de services tels que les soins de santé, l’éducation, le logement, etc. ;

  • La stabilité, la sécurité et des possibilités économiques dans la zone de retour ;

  • L’engagement de la société civile.

Il est donc important d’évaluer consciencieusement la situation de la communauté pour déterminer si ces critères sont remplis.

Le présent chapitre donne un aperçu détaillé des premières mesures à prendre en vue de l’élaboration d’un projet axé sur la communauté.

  • 3.2.1 Profil et analyse de la communauté
  • 3.2.2 Développement de l’aide au niveau communautaire

 

3.2.1 Profil et analyse de la communauté

L’aide à la réintégration au niveau communautaire s’appuie généralement sur les profils complets communautaires affichant un taux de retour élevé ou de fortes pressions d’émigration. Ces profils peuvent aider l’organisation responsable à comprendre comment le processus de réintégration peut aider à la fois les migrants et la communauté dans laquelle ils retournent, ainsi que la manière dont il affecte la communauté.

Dans le cadre de l’élaboration du profil, les indicateurs au niveau de la communauté fournissent des informations permettant de déterminer les interventions les plus appropriées dans chaque zone ciblée. Le profil communautaire donne en outre une idée des risques et difficultés potentiellement associés aux interventions locales. L’analyse des indicateurs et des informations sur la communauté permet de déceler des problèmes spécifiques – tels que le manque de ressources – susceptibles de provoquer des tensions entre les personnes de retour et les membres non migrants de la communauté. Lors des activités d’évaluation, il faut toujours adopter une perspective tenant compte des conflits, en cherchant à savoir si les personnes de retour risquent de susciter le ressentiment ou l’hostilité si l’on considère qu’ils bénéficient de prestations ou d’avantages disproportionnés par rapport à la population non migrante.

Les indicateurs pouvant être utiles à l’élaboration des profils communautaires sont notamment, mais pas seulement :

Indicateurs sociodémographiques Ressources communautaires

☐ La répartition par âge

☐ La répartition par sexe

☐ Les activités sociales

☐ Les réseaux de soutien

☐ L’inclusion sociale (discrimination, violence ou harcèlement fondés sur le sexe, le genre, la nationalité, l’origine ethnique, l’âge, le statut de migrant, la religion, la présence d’un handicap ou l’orientation sexuelle)

☐ La répartition selon l’ethnie

☐ Les réalisations dans le domaine de l’éducation

☐ Le taux de migration

☐ La perception de la migration

☐ Le niveau de sécurité, y compris les risques de catastrophe environnementale et la stabilité politique

☐ Le revenu et l’emploi

☐ L’accès aux services (y compris le logement, les soins de santé et les écoles)

☐ La couverture des besoins essentiels (y compris la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation et la formation, le logement, l’eau, l’assainissement et l’hygiène)

☐ Les liens ou projets avec la diaspora

☐ La sécurité de la terre et des droits fonciers

☐ La ou les langues parlées

☐ L’accès à un recours effectif et à la justice

☐ La résilience face aux risques environnementaux, notamment ceux liés au changement climatique

☐ Les projets existants de réintégration ou de développement local

☐ Les activités et la participation sociales, y compris les collectifs et groupes formels ou informels portant sur un centre d’intérêt commun, dans les domaines du théâtre, des arts visuels, de la musique, de la danse, des sports ou autres.

Lors des évaluations, il faut chercher à savoir dans quelle mesure les ressources communautaires sont accessibles aux membres de la communauté, et si cet accès varie selon l’âge, le sexe, la taille de la famille, l’appartenance ethnique, la religion, la présence d’un handicap ou d’autres caractéristiques personnelles. Cette analyse peut être effectuée en comparant les ressources en fonction du profil sociodémographique, afin de connaître leur répartition dans l’ensemble de la communauté.

Une fois le profil de base établi, l’organisation principalement chargée de la réintégration doit effectuer des recherches et analyses plus approfondies. Il est important de vérifier si l’organisation responsable ou d’autres acteurs ont déjà réalisé des évaluations ou analyses et, si tel est le cas, de les utiliser chaque fois que cela est possible. À cet égard, les responsables des interventions communautaires devraient consulter fréquemment les chargés de dossier qui fournissent l’aide au niveau individuel dans les communautés ciblées, car leur expérience peut éclairer ces interventions.

Le tableau ci-après présente les questions à poser ou à adapter lors de l’évaluation d’une communauté, et propose des méthodes de collecte de données.

Tableau 3.1 : Questions à poser en vue d’une analyse exhaustive de la communauté

Phase Questions à poser Méthodes de collecte des données
Profil de la
communauté
Moteurs de la migration

1. Quel rôle la mobilité joue-t-elle (et a-t-elle joué par le passé) au
sein de la communauté ?

2. Quels sont les principaux facteurs qui influent sur la migration ?
(Étudier la situation économique, la gouvernance ainsi que les
aspects sociaux, politiques, environnementaux, structurels et
relatifs à la sécurité)

3. Quelles sont les motivations personnelles des migrants et
personnes de retour qui envisagent/décident de partir et de
revenir ?

4. Quel rôle joue la prise de décisions collective sur la migration ?
Quels sont les principaux acteurs qui influent sur la décision de
migrer ?

5. Quels sont les facteurs (financiers, humains, logistiques, etc.) qui
favorisent les migrations irrégulières ?

 

  • Examen sur dossier
  • Groupe de réflexion
  • Discussions
  • Évaluation
    individuelle
  Élaboration des programmes en vue de la réintégration

6. Quels sont les facteurs qui empêchent ou favorisent la
réintégration aux niveaux économique, social et psychosocial ?

7. De quel type d’aide à la réintégration (aux niveaux économique,
social et psychosocial) a-t-on besoin pour que celle-ci soit
durable ?

8. Quels acteurs sont les mieux placés pour mettre en oeuvre ces
activités ?

  • Examen sur dossier
  • Groupe de réflexion
  • Discussions
  • Évaluation
    individuelle
  Point de vue de la communauté

9. Quelles sont les sources de tension et de capital social au sein
de l’écosystème ? Quelle vision les membres de la communauté
ont-ils les uns des autres ?

10. Quels sont les principaux événements, récents et anciens, qui
ont façonné cette communauté ?

11. Comment les migrants et personnes de retour sont-ils actuellement perçus et quelles sont les attitudes à leur égard ?

12. Comment la communauté considère-t-elle les migrants et les
personnes de retour en tant qu’acteurs de l’écosystème ?

13. Comment les membres de la communauté traitent-ils les
personnes de retour, et vice-versa ?

  • Examen sur dossier
  • Discussions
    des groupes de
    réflexion
  • Évaluation
    individuelle
  • Consultations
    à l’échelle de la
    communauté
  • Résumé de l’histoire
    de la communauté
  Analyse du système économique

14. Cartographier le système de production et des échanges
économiques, y compris la fourniture de services.

15. Établir une typologie des secteurs formel et informel.

16. Analyser le potentiel socioéconomique des secteurs recensés, en ce qui concerne : a) la création et le développement d’entreprises ; b) la création d’emplois dans les domaines définis par le projet. Recenser les priorités et les plans gouvernementaux relatifs au développement des marchés.

17. Recenser les possibilités concrètes et immédiates en matière d’emploi, de création de revenus et d’emploi indépendant.

18. Recenser les possibilités concrètes et immédiates en ce qui concerne le renforcement de la protection et de l’accès aux services.

  • Examen sur dossier
  • Entretiens avec les informateurs clés du secteur privé
  • Évaluation individuelle
  • Évaluations du marché du travail (voir la section 1.4.2)
Recensement
des parties
prenantes et
des services

19. Quels sont les acteurs participant directement ou indirectement à la fourniture de l’aide à la réintégration aux niveaux local et national ?

20. Comment interagissent-ils et se coordonnent-ils ?

21. Quels sont les projets communautaires liés à la réintégration ?

22. Quels sont les mécanismes d’orientation en place à tous les niveaux (individuel, communautaire, régional et national) pouvant appuyer les activités de réintégration ?

23. Parmi les services accessibles aux migrants de retour, quels sont ceux qui peuvent appuyer les activités de réintégration ?

24. Quelles sont les approches complémentaires disponibles ? Qui est chargé de les mettre en oeuvre ?

25. Est-il possible de créer de nouveaux partenariats pour appuyer les activités de réintégration, ou de renforcer ceux qui existent ?

  • Examen sur dossier
    (en particulier de
    la cartographie des
    parties prenantes
    et des services
    existants, voir la
    section
    1.4.2)
  • Entretiens avec les
    informateurs clés
Évaluation
des capacités

26. De quelles ressources humaines et financières les parties prenantes disposent-elles pour intervenir sur les trois plans (économique, social, psychosocial) et aux trois niveaux (individuel, communautaire, structurel) de la réintégration ?

27. Quelles sont les activités de renforcement des capacités requises pour aider efficacement les partenaires à fournir l’aide à la réintégration ?

  • Entretiens avec
    les informateurs
    clés (analyse au
    moyen de l’outil
    d’évaluation
    des capacités
    organisationnelles)

Les évaluations et profils communautaires doivent, comme les autres évaluations à tous les niveaux, être fréquemment revues et mises à jour en coopération avec les acteurs locaux, afin de refléter les changements, les nouveaux risques et problèmes et les nouvelles possibilités concernant les programmes.

3.2.2 Développement de l’aide au niveau communautaire

Lors de l’examen initial des projets de réintégration au niveau communautaire, l’on peut se référer aux critères ci-après pour évaluer les avantages et inconvénients dans un contexte particulier :

Tableau 3.2: Avantages et inconvénients des projets de réintégration au niveau communautaire

Critères positifs Critères négatifs
  • Le projet rassemble des personnes de retour et des membres de la communauté ;
  • Le projet est proposé par les membres de la communauté et répond directement aux besoins de celle-ci ;
  • Le projet permet de répondre aux besoins des migrants de retour particulièrement vulnérables ;
  • Le projet répond à des besoins spécifiques de la communauté, notamment en contribuant à améliorer l’accès aux services au niveau communautaire ;
  • Le projet contribue à la cohésion sociale (c’est-à-dire à améliorer l’attitude de la communauté à l’égard des personnes de retour et vice-versa) ;
  • Le projet devrait contribuer à améliorer la situation socioéconomique de la communauté, notamment en créant des emplois et des moyens de subsistance ;
  • Le projet est étroitement lié au plan de développement local ;
  • Le projet est respectueux de l’environnement, en raison de son « empreinte environnementale », de la nature de ses activités (par exemple, le recyclage) ou du fait qu’il a pour objet de lutter contre les dangers environnementaux qui menacent la communauté, tels que l’exposition aux risques naturels, le changement climatique ou la dégradation de l’environnement30 ;
  • Le projet tient pleinement compte des questions de genre en veillant à ce que les deux sexes en bénéficient et y participent de manière significative.
  • Le projet est susceptible de nuire à la communauté dans laquelle reviennent les migrants (par exemple, s’il fait concurrence aux initiatives locales ou a des effets négatifs sur le milieu naturel) ;
  • À la suite d’une évaluation, il est estimé que le projet n’est pas viable ;
  • Le projet ne tient pas compte des besoins et priorités de la communauté ;
  • Le projet ne tient pas compte des considérations relatives à l’égalité entre les sexes.

En plus de favoriser la réintégration durable, les projets axés sur la communauté d'accueil peuvent avoir une influence positive sur la coexistence pacifique au sein de celle-ci, en réduisant les facteurs d’opposition entre ses membres, en améliorant la compréhension mutuelle et en permettant de surmonter les problèmes affectant l’ensemble de la collectivité, tels que la rareté des ressources.

Méthodes possibles

Il n’y a pas de modèle unique à suivre pour les projets communautaires, car chacun d’entre eux dépend du contexte local, des besoins de la communauté et du profil des migrants. Ce manuel propose donc plusieurs méthodes et donne un aperçu de leurs avantages et inconvénients. Ces méthodes sont différenciées en fonction des besoins ciblés : certains projets sont axés sur les besoins des groupes de migrants de retour tout en cherchant à mobiliser les membres de la communauté, tandis que d’autres sont axés sur les besoins de la communauté locale et cherchent à faire participer un ou plusieurs migrants de retour.

En outre, ces méthodes ne seront pas forcément les mêmes si les projets ont été récemment mis au point par l’organisation principalement chargée de la réintégration ou s’ils s’appuient sur des projets existants, que ceux-ci fassent déjà participer les personnes de retour et répondent à leurs besoins spécifiques ou non.

Trois méthodes peuvent être adoptées pour mettre en œuvre les projets de réintégration au niveau communautaire :

  1. L’appui aux projets collectifs de migrants de retour
  2. La création de nouveaux projets à l’échelle de la communauté
  3. L’intégration des migrants de retour aux projets existants.

Le tableau ci-après présente un résumé de ces méthodes et de leurs avantages et inconvénients

Tableau 3.3: Méthodes possibles pour mettre en oeuvre des projets de réintégration au niveau communautaire

Type Description Avantages Inconvénients
Appui aux
projets
collectifs de
migrants de
retour

Point de départ des projets :
les besoins des migrants de
retour.

Il s’agit de projets individuels ou collectifs concernant un ou plusieurs migrants, qui peuvent faire participer la communauté.

Fort impact sur les migrants de retour.

Répond aux besoins des personnes de retour dans le contexte spécifique d’une communauté locale.

Répond moins aux besoins de la communauté.

Contribue moins à réduire les risques de tensions entre les migrants de retour et leur communauté en raison de l’insuffisance de la participation de celle-ci.

Création d’un
nouveau projet
au niveau
communautaire

Point de départ des projets : les besoins de la communauté. Ces projets sont principalement conçus avec et pour la communauté dans laquelle reviennent les migrants ; il peut s’agir, par exemple, de projets locaux de développement économique ou d’adaptation au changement climatique.

Fort impact sur la communauté.

Crée des conditions favorables à la réintégration. Répond aux besoins de la communauté locale.

La participation des migrants de retour risque d’être limitée, de sorte que le projet aura peu de retombées pour eux.

L’intégration des migrants de retour aux projets existants

Point de départ des projets : les projets existants. Il s’agit d’intégrer les migrants de retour aux projets fructueux mis en oeuvre par l’organisation principalement chargée de la réintégration ou par d’autres acteurs.

Les projets ont plus de chances de continuer à bien fonctionner.

Ils constituent une solution lorsque les ressources financières sont limitées et lorsque les acteurs de la réintégration connaissent mal le secteur en question. Ils offrent des possibilités aux migrants qui n’ont pas de compétences spécifiques.

Les migrants de retour doivent être mis en relation avec les projets. Les migrants doivent avoir de bonnes relations avec le groupe déjà constitué.

La personne référente n’a pas forcément accès à des informations sur tous les projets existants.

La différence entre ces catégories, en particulier les deux premières, est conceptuelle. En réalité, les projets de réintégration axés sur la communauté et les initiatives collectives axées sur les migrants de retour peuvent avoir de nombreuses caractéristiques communes. En outre, plusieurs méthodes peuvent être associées dans le cadre d’un programme plus large. Il est néanmoins utile de distinguer ces différentes approches, au moins sur le plan théorique, afin de mettre en évidence leurs avantages et inconvénients potentiels, ainsi que la manière dont elles pourraient être mises en pratique.

30 Pour un outil de vérification simplifié, se reporter au document Environmental and Social Screening du Programme alimentaire mondial.